Bonjouuuuur tout le monde !

Après un (petit) moment de réflexion, j'ai décidé de vous présenter ma dernière nouvelle. Vos retours m'ont été super précieux pour la précédente, et je ne doute pas que ceux que vous me ferez sur celle-ci m'aideront à la retravailler et à la peaufiner pour en faire un texte un peu plus pro :)

J'ai choisi, pour cette nouvelle, ainsi que pour la précédente, et pour toutes les futures, de demander à l'IA Midjourney de s'occuper des illustrations (je vous conseille d'ailleurs de retourner voir "Moisi", j'y ai ajouté des images). Comment, une dessinatrice qui fait bosser une IA ?! Oui, bien sûr, c'est bizarre, bizarre que j'aie recours à cette curiosité pour illustrer mes nouvelles, alors que celle-ci provoque de grosses angoisses dans mon milieu professionnel, à tous les créateurs d'images qui, déjà que c'est pas facile de trouver des boulots d'illustration, flippent de se voir remplacés par un machin qui te génère une image de dingue en quelques secondes, gratuitement... Mais Midjourney est fascinant et les images qu'il génère ont énormément de charme, un charme un peu étrange, un peu décalé, un peu chelou qui va bien, je trouve, avec les ambiances de mes récits (et par ailleurs, je serais absolument incapable de faire un tel travail moi-même...). Quitte à se faire remplacer par des robots, autant que ce soit volontaire, hein ! (M'en fous, Midjourney est peut-être super fort pour générer de belles images, mais il est nul en scénarios, et bim !).

Brefle, voici la dernière histoire que j'ai écrite, j'espère qu'elle vous plaira, je suis très curieuse d'avoir des retours !

 

COMME SUR DU PAPIER A MUSIQUE


Le quotidien de Gontran était terriblement monotone.


Gontran vivait aux abords d’un village, dans une modeste fermette, entourée d'arbres, de prairies et de petits chemins de terre bordés de murets en pierres. Ses possessions étaient chiches, quelques outils, une table, une chaise, une couche et une vache lui suffisaient. Il vivait simplement, et se contentait de peu.
Tous les matins, son voisin, Thierry le palefrenier, le saluait en passant devant chez lui. Puis c’était au tour de Perrine, la boulangère, de s’arrêter quelques instants pour lui acheter du lait et échanger quelques banalités : La météo. La fête de l’hiver, événement annuel très attendu qui réunissait tout le village pour une cérémonie festive, sur la place de la mairie. La relation supposée du maire avec l’institutrice... Après, il allait traire sa vache. C’était son moment préféré, la proximité avec sa bête le mettait en joie. Celle-ci se laissait faire sans sourciller. Il remplissait ainsi son seau de lait frais, une fois par jour, et ceci constituait l’essentiel de ses repas.
Et puis, le travail du bois. Gontran était menuisier, et il passait le plus clair de son temps à fabriquer des planches, et des planches, et des planches... Patrick, le bûcheron, lui livrait quotidiennement un tronc, que Gontran débitait consciencieusement sur sa vieille machine. Ensuite, il allait ranger les découpes obtenues dans son coffre-magasin, une boîte adossée à son portail, là où la veille, il avait rangé les précédentes. A leur place, il y avait des pièces de bronze, que Gontran empochait machinalement. C’était son travail, sa raison d’être.
La vie de la communauté se déroulait toujours de la même façon, jour après jour, mois après moi, année après année. Chaque journée était semblable à la précédente. La seule chose qui changeait, c’était les visiteurs.
Ils étaient nombreux à venir lui parler. Gontran n'avait aucune idée d'où ils venaient, mais la diversité de leur apparence lui évoquait des terres lointaines... Leur aspect, contrairement à celui des villageois, était bigarré, insolite parfois, comme si chacun tentait de se différencier des autres. Mais, pour lui, ils étaient semblables. Ils venaient tous lui poser la même question, et Gontran leur livrait toujours le même récit. Toujours.
Certains trouvent le plaisir de vivre dans la surprise, dans l’aventure, dans l’inattendu. Pas Gontran. Gontran était très heureux ainsi. Sa vie, réglée comme sur du papier à musique, lui convenait. Sans prétention, elle le structurait et lui donnait le sentiment rassurant que rien, ni personne, ne pourrait un jour briser ce bel équilibre, comme une douce mélodie dont on connait chaque note par cœur, et qu’on prend plaisir à retrouver, toujours intacte, à jamais inaltérable.

Jusqu’à ce matin-là.

Gontran, peu après son éveil, fut pris d’une pensée surprenante. Il avait envie d’apporter un élément nouveau dans sa vie. Du changement. L’idée saugrenue de creuser une mare dans son jardin faisait chemin dans sa tête. Celle-ci ferait face à la fenêtre de son atelier, celle devant laquelle il passait beaucoup de temps chaque jour à travailler le bois. Un point d’eau dans son champ de vision, probablement colonisé par diverses plantes et animaux, serait un enchantement visuel, un nouveau bonheur sans cesse renouvelé, à n’en point douter !
Le vieil homme finit son bol de lait, le nettoya, puis il se posta sur le banc devant sa maison, en attendant l’arrivée de Thierry. Le voici d’ailleurs, s’avançant sur le chemin, toujours ponctuel, toujours enjoué. Signe de main, signe de tête. Thierry était muet. Un bon gars, le cœur sur la main, ça oui ! Mais nul n’avait jamais entendu sa voix. Peu de temps après Thierry, venait Perrine. La boulangère était jolie, ses formes étaient harmonieuses et rebondies, à l’image des généreuses miches qu’elle portait jusqu’au marché du village. Son babillage, en revanche, était profondément inintéressant, mais Gontran s’y pliait de bonne grâce, celui-ci constituant l’essentiel de sa vie sociale. Si l’on exceptait bien sûr les questions des voyageurs. Mais Gontran n’en avait cure ; il savait qu’il ne les reverrait jamais, individuellement. Il lui était conséquemment impossible d’établir la moindre relation affective avec eux, et c’était très bien ainsi. De toute façon, la plupart d’entre eux ne montrait pas le moindre signe de considération à son égard. Certains même ne se contentaient pas de leur échange verbal, et rentraient sans aucune gêne dans sa maisonnette ! Ils n’y restaient que quelques secondes, celle-ci ne contenant rien de remarquable, mais Gontran détestait cela. Ils partaient ensuite sans le moindre regard pour le menuisier. Evidemment.
Ce jour-là, donc, Gontran, après le passage de Perrine, retourna dans sa demeure, se saisit d’une pelle et se rendit dans son jardin. D’habitude, à cette heure-ci, il allait s’occuper de sa vache, Lucette, mais aujourd’hui, son projet occupait toutes ses pensées. Il passa devant elle, et Lucette le suivit du regard, toute étonnée. Il lui flatta le museau puis, d’un pas déterminé, se posta face à la fenêtre de son atelier, et, sans attendre, planta sa bêche dans la terre. 
Il put ainsi creuser toute la journée sans être interrompu. Chaque fois que son outil s’abattait dans la glaise, Gontran ressentait une curieuse exaltation. Cela faisait si longtemps que son quotidien se déroulait de la même manière, que ce simple mouvement déclenchait en lui un délicieux sentiment de transgression. Plus le trou grandissait, plus il se sentait important, en fait. L’insignifiance de son quotidien avait fini par lui donner la ferme impression de n’être qu’une fourmi, un être vivant sans importance dont l’existence ne comptait pas. Il s'en accommodait, mais tout de même, s’il disparaissait, qui s’en soucierait ? Le monde était vaste, et pourtant, Gontran n’en connaissait qu’une fraction infinitésimale. Son lit, son atelier, son banc, son portail et sa vache. Pour le reste, ce qui se passait au-delà de sa fermette ne le concernait absolument pas, et le monde, dans toute son infinie grandeur, lui paraissait chaotique, dangereux, angoissant. Du moins, c’est l’idée qu’il s’en faisait. 
Le soleil baissait à l’horizon et la lumière se fit plus rasante. Epuisé mais satisfait, Gontran contempla longuement le fruit de ses efforts : un large cercle terreux se dessinait devant lui, pas bien profond encore, bien sûr. Il lui faudra plusieurs jours pour que le trou atteigne une taille suffisante. Mais ce labeur avait créé en lui quelque chose de nouveau. Il était fier. Fier de se prouver qu’il pouvait faire autre chose que débiter ses planches et traire sa vache. Qu’il pouvait agir sur son environnement, laisser une trace. Une fois qu’il serait mort, on pourra se dire “C’est la mare du Gontran !”. Et cette simple pensée le gonfla d’orgueil.
Il s'apprêtait à rentrer dans son foyer lorsqu’il fut saisi d’effroi : Mon Dieu, il avait oublié Patrick ! Le bûcheron arrivait toujours à 17h précise pour livrer sa marchandise. Mais Gontran n’était pas à son poste ! Il était 18h passé de 45 minutes, et tout à son occupation, il n’avait pas réalisé à quel point le temps s’était écoulé. Affolé, il se précipita sur le seuil de sa porte, et remarqua immédiatement le tronc, abandonné au milieu du chemin. Il imagina sans mal la stupéfaction de Patrick devant l’absence du menuisier. Ne sachant que faire, celui-ci s’était délesté de son bien à l’endroit de leur interaction quotidienne. Gontran porta le tronc jusqu’à son établi, et se mit au travail.

Alors qu’habituellement, tout le village était paisiblement endormi, une fenêtre, illuminée par la lumière tremblotante d’une bougie, trouait la nuit...

http://melaka.free.fr/blog/maison700.png

Gontran était attablé devant son bol de lait. Il s’était éveillé à la même heure que d’habitude, et accusait le coup en tentant d’organiser ses pensées. Il était fatigué, son corps n’avait jamais connu de sollicitation aussi soutenue, suivie d’un sommeil raccourci. Qu’est-ce qui lui était passé par la tête ?! Une mare, on croit rêver ! Et pourquoi pas un stade olympique, tant qu’il y était ? Et pourtant, il avait la ferme intention de continuer. Il se sentait comme un minuscule rouage perdu au cœur d’une énorme machine qui se serait mis à bouger indépendamment du reste, au mépris de toute logique, de toute cohérence. Il finit rapidement son breuvage, puis sortit sur son perron. Il consulta la boite, dans laquelle se trouvait toujours le bois préparé la veille, et s’assit sur son banc, au moment où Thierry apparaissait sur le chemin. Signe de tête, salut amical. Quelques instants plus tard, c’est la silhouette menue de Perrine qui se découpa au loin. Gontran la laissa approcher, se leva et marcha jusqu’au portail.
“ Bonjour le Gontran. Il fait vraiment très beau aujourd’hui ! 
- Et oui, comme chaque jour, la Perrine. Alors, qu’apportes-tu donc au marché ce matin ?
- Deux beaux pains, et une brioche. Je ne devrais sans doute pas te le dire, mais j’ai vu Charlotte l’institutrice entrer chez le Maire, hier soir. Je ne veux pas être médisante, mais ce n’est pas très correct de sa part, tu ne penses pas ? 
- Bah ! Si ça se trouve, ils se retrouvent le soir simplement pour organiser la Grande Fête de l’Hiver !
- Tu as sans doute raison. Cette année, je suis sûre qu’elle sera magnifique ! J’ai hâte !”
En disant cela, elle écarta les anses de son panier, afin que le menuisier y dépose la bouteille de lait qu'il lui cédait quotidiennement. Mais il n’avait pas de bouteille à lui donner : la veille, il avait complètement oublié de traire Lucette !! Le restant de l’avant-veille avait servi pour son petit déjeuner. Perrine le regardait, le sourire figé, en attente de son bien. Sans ce lait, elle ne pourrait pas faire sa brioche du lendemain. C’était une catastrophe ! Gontran ne savait pas comment le lui dire. Un long silence gênant s’installa, Perrine le fixait toujours, et dans ses yeux passa une lueur d’incompréhension. 
“ Je suis désolé, Perrine, je n’ai pas de lait aujourd’hui.”
Elle resta un moment encore en suspens. Son expression changea subtilement, ses yeux s’écarquillèrent, son sourire trembla, un vent de panique sembla obscurcir un instant son regard. Elle finit par refermer son panier et se remit en mouvement.
“A demain, le Gontran, porte-toi bien !”.
En l’observant, s’éloignant sur le chemin en direction de la place du village, Gontran fut pris de fébrilité. Ouf !! Ça s’était bien passé. Son coup de folie de la veille avait bien failli mettre en péril l’équilibre délicat qui régissait son monde. Que lui, décide de bousculer son quotidien, c’était une chose, mais il ne fallait pas que cela influe sur le cours de l’existence de ses voisins ! Qui sait alors quelles pourraient être les conséquences de ses manquements ? Il se promit de ne plus commettre un tel impair, et alla directement dans l’étable retrouver sa chère Lucette. Alors qu’il était en pleine traite, un bruit de galop se fit entendre. Gontran ne pouvait pas s’interrompre immédiatement, et en finissant sa tâche, il analysait les sons qui lui parvenaient, blasé. C’était un visiteur qui, comme souvent, s’était introduit dans sa maison, en témoignait le bruit métallique de ses pas sur le plancher vermoulu. Gontran poussa un soupir agacé : il détestait vraiment cela. Ces étrangers avaient un comportement irritant, et même si Gontran ne possédait rien qui n’ait le moindre intérêt pour ces cuistres, il avait de plus en plus de mal à tolérer leur impudence et leur manque de respect à son égard. Las, il se leva et, son seau à la main, partit à la rencontre du malotru.
“ Hola, vieil homme. Peux-tu me renseigner ? Je cherche le château du seigneur Capellou. Par ailleurs, si d’aventure quelques denrées t’encombrent, je suis disposé à t’en délester, je chevauche depuis longtemps, et ma route est encore bien longue !
- Bien le bonjour, aventurier. Je ne suis qu’un modeste menuisier et si le cœur vous en dit, vous pouvez acquérir des planches de ma confection contre une pièce de bronze.”
Gontran lui indiqua la boite.
“Je ne connais pas le seigneur Capellou, mais en suivant la route, vous arriverez au marché du village dans lequel vous trouverez de quoi vous sustenter. Nul doute que les commerçants sauront vous indiquer ce que vous cherchez !”
L’intrus fit un tour sur lui-même, puis, sans autre forme de politesse, franchit le portail, remonta sur son cheval et continua sa route. Il n’avait même pas regardé la boite. Pourtant, Gontran savait qu’il reviendrait et qu’il lui achèterait des planches, il en avait besoin. Ils en avaient tous besoin. Pourquoi ? Gontran n’en savait fichtre rien, c’était comme ça. Chacun son rôle, chacun ses raisons, chacun sa place.
Il tourna les talons et alla chercher sa pelle. Il n’était que 9h30, il lui restait quelques heures pour continuer sa mare, avant que Patrick ne vienne lui livrer son bois. En arrivant dans son jardin, Gontran eut un choc. A l’endroit où il avait œuvré avec tant de vigueur, il n’y avait... Plus rien. Plus de trou. Rien qu’une surface herbue, inentamée. Comme si tous ses efforts de la veille n’avaient été qu’un rêve ! Gontran resta un moment interdit, paralysé. Comment cela fut-il possible ?! Est-ce qu’une force invisible, une volonté supérieure, avait décidé de gommer son travail ? Est-ce que sa pauvre décision à lui, modeste petit menuisier, d’agir à contre-courant sur sa vie avait éveillé quelque colère divine ? Était-ce de la magie ?
Ou alors, il avait juste rêvé. C’est possible, après tout. Improbable, mais possible. Il se serait endormi, inopinément, au cours de la journée précédente, et il avait imaginé qu’il creusait ce trou, bousculant ainsi la mélodie parfaitement rodée de son existence ? 
Confus et contrarié, il se remit à creuser. Foi de Gontran, il fera une mare ici, ainsi en avait-il décidé ! Alors qu’il creusait depuis deux bonnes heures, un nouveau bruit de galop retentit. Encore un ! C’est vrai qu’en y réfléchissant, la veille, il ne se souvenait pas avoir été interrompu par un de ces chevaliers. Ils se faisaient plus rares ces temps-ci, c’était indéniable, mais toute une journée sans en voir un, tout de même, c’était insolite. Voilà qui accréditait un peu plus la théorie du rêve ! 
Gontran posa sa pelle et se rendit devant sa maison. Tiens ? Celui-là portait un casque original, surmonté de deux énormes cornes rouges. Voilà qui ne devait pas être très pratique pour chevaucher, et accessoirement, Gontran trouvait que ça lui donnait un air parfaitement ridicule. L’échange fut bref, et l’étranger tourna les talons avant même que Gontran ait fini d’indiquer la boite ! Habitué à subir leur rudesse, Gontran haussa les épaules et retourna s’occuper de son trou sans plus y songer. Il s’arrêta à 16h55, précisément, admira un instant le cercle terreux, satisfait et éreinté, puis alla accueillir comme il se doit son ami Patrick chargé de son tronc.
http://melaka.free.fr/blog/trou700.png

(à suivre)