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Panique au Lycée

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Comme sur du papier à musique #2

Le lendemain, Gontran se leva plus tôt que d’habitude.

Il avait mal dormi. Des images étranges avaient troublé son sommeil, des bribes de choses qu’il ne comprenait pas, des gens qu’il n’avait jamais vus dansèrent dans son crâne tout au long de la nuit. Des images sales, sombres. Un corps inerte. Des personnes habillées de noir... Il ne se souvenait jamais de ses rêves, mais là, ça restait accroché à sa cervelle, même après le lever, des pensées bizarres, inconfortables. Il but son lait plus rapidement qu’à l’accoutumée, et se rendit directement dans le jardin. Ce qu’il y découvrit le jeta à terre. Il n’osait l’envisager, et pourtant, ça s'était produit à nouveau : le trou avait encore disparu. Tout était normal, la pelouse ondulait doucement dans la brise du petit matin, comme si rien ni personne ne l’avait foulée depuis un bail !
C’était à devenir dingue ! Gontran pris sa tête dans ses mains. Il ne voulait y croire. Cette fois, la théorie du rêve ne tenait plus, ou alors c’est maintenant qu’il rêvait, et ça virait au cauchemar ! Qui avait décidé de briser ainsi sa volonté ? Quelle magie diabolique s’amusait à le tourmenter ?! Il resta un moment comme ça, agenouillé, la tête dans les mains, jusqu’à ce que le meuglement de Lucette le ramène à la réalité. Ah, oui. Le lait.


En trayant sa vache, il essayait de se remémorer les images absurdes de la nuit. Tout ça avait un rapport avec la disparition du trou, c’était sûr. Tout allait bien, tout se déroulait comme à l’accoutumée, depuis si longtemps que Gontran était incapable d’imaginer que ce put avoir été autrement. Et puis, cette envie étrange de creuser une mare, et puis, les images effrayantes de son cauchemar... Tout cela ne s’était jamais passé, avant, ces deux faits remarquables se déroulant au même moment, ils étaient forcément liés !
A moins que... Et si... Et si Gontran était possédé par quelque force obscure, et, somnambule, allait lui-même reboucher le trou pendant la nuit ? Après tout, pourquoi pas ? Une possession démoniaque, voilà qui expliquerait les visions nocturnes ! Oui, voilà, c’était sûrement ça !
Gontran alla ranger son lait, en mis une partie en bouteille et alla sur son perron attendre Perrine. Il avait raté Thierry, mais ce n’était pas très grave. Moins grave, en tout cas, que d’être possédé durant la nuit par un esprit malin ! Cette idée, même si soulevant de sacrées questions, le rassurait malgré tout : il préférait être face à un problème identifié, que face à des questions sans réponse. Mais quand même, ces images... un corps. Un corps jeune, sans vie, barbouillé de sang...


Perrine apparut au bout du chemin. Elle avançait tranquillement, en dandinant légèrement des hanches. Sereine, souriante, loin de toute préoccupation négative, elle s’approcha du portail en arborant son habituel sourire. Un sourire stupide.

“ Bonjour le Gontran. Il fait vraiment très beau aujourd’hui ! 
- Et oui, comme chaque jour, la Perrine”, répondit Gontran, un peu trop mécaniquement.
Elle le regarda, son sourire crétin toujours plaqué sur le visage. Elle ne pouvait pas enchaîner sur la réplique suivante, tant que Gontran n’avait pas terminé la sienne. Il réalisa soudain à quel point cette conversation quotidienne était futile et artificielle. Qu’est-ce qui lui arrivait ? Il ne s’était jamais fait ce genre de réflexion avant !
Perrine ouvrit la bouche, la referma. Toujours en souriant. De toute évidence, elle ne savait pas comment se comporter. Gontran décida d’abréger ses souffrances.
“Alors, qu’apportes-tu donc au marché ce matin ?” Dit-il sur un ton dans lequel perçait un agacement certain.
“ Deux beaux pains. Je ne devrais sans doute pas te le dire, mais j’ai vu Charlotte l’institutrice entrer chez le Maire, hier soir. Je ne veux pas être médisante, mais...
- TA GUEULE PERRINE ! TU ME FAIS CHIER, PERRINE !! J’EN N’AI RIEN A FOUTRE QUE LE MAIRE TRINGLE L’INSTIT’ ! JE-M'EN-BRANLE !!!”
La boulangère resta bloquée, la bouche ouverte, dans l’exacte expression gourmande qu’elle arborait en se laissant aller à son commérage quotidien. Gontran, après avoir hurlé sa dernière réplique, plaqua ses mains sur sa bouche et fit quelques pas en arrière, effrayé par sa propre réaction. Il regardait la boulangère qui n’avait toujours pas bougé, et trouva qu’elle avait l’air... vide. Factice. Elle souriait toujours, tenant son panier avec ses deux pains de merde, et Gontran se surprit à la haïr, profondément. Ainsi paralysée, elle ressemblait à un... un mannequin dans une vitrine. Une coque vide. Un... robot.

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Un robot ? Qu’est-ce que c’est ?! Gontran n’était pas censé connaître ce mot, cette notion ! Ça ne faisait pas partie de son univers ! Et pourtant...
Suant et tremblant, Gontran ne se reconnut pas lui-même. Il fallait qu’il se reprenne immédiatement ! Son monde était sur le point de basculer définitivement, dramatiquement, il le sentait. Il jeta sa bouteille de lait dans le panier de Perrine, toujours immobile, toujours son horrible sourire plaqué sur son visage, et rentra précipitamment dans sa maison. Qu’est-ce qui lui avais pris ?! Cette histoire de trou était en train de le rendre maboule ! Il s’assit par terre et regarda avec effarement son environnement, si familier. Sa table. Sa chaise. Son lit. Son seau. Tout cela lui parut subitement faux. Comme si quelqu’un d’autre que lui les avait disposés là. Il s’assit par terre, le dos contre sa porte, et, hébété, sonda ses souvenirs. Quand est-ce qu’il s’était installé dans cette maison ? Quand l’avait-il achetée ? Avait-il le moindre souvenir dans lequel il n’était pas encore un vieux menuisier, fabriquant ses planches et trayant sa vache ?


Non.


Il n’en avait aucun. Sauf peut-être... sauf peut-être ces images dérangeantes qui, pour la première fois, s’était imposées dans son esprit la nuit précédente. Quelque chose était en train de changer en lui, d’y grandir. Était-il vraiment possédé ? Était-ce ça que ressentaient les personnes sous une influence démoniaque ??
Toujours adossé à sa porte, il réfléchissait à tout cela depuis un certain temps quand une voix familière lui parvint à travers le battant :
“A demain, le Gontran, porte-toi bien !”.
Perrine avait donc réussi à se débloquer. Elle était sans doute en train de s’éloigner sur le chemin en direction de la place du village, comme chaque jour. Son comportement laissait une forte angoisse chez Gontran. Le rouage était clairement grippé, la mélodie, pleine de fausses notes. Comme si un instrument, en retard, avait joué sa partie à un moment totalement inadéquat, et que la totalité du morceau s’en trouvait bouleversé, faux, inaudible...
Pris d’une impulsion subite, Gontran se rua dans le jardin. Il s’acharna sur sa terre comme jamais, ahanant, râlant, tout en décollant de grosses mottes argileuses du sol. Il ne voulait plus être prisonnier d’une réalité factice, qui lui apparaissait soudain comme une prison. Une prison ! C'est ça. Son quotidien qu’il aimait tant, si harmonieux, n’était en fait qu’un carcan, un univers illusoire, créé de toute pièces par quelque Dieu malfaisant ! Il lui fallait en avoir le cœur net : cette fois, il ne quitterait pas son trou. Il y resterait, toute la nuit s’il le fallait, mais il comprendrait peut-être enfin ce qui lui arrivait !


A 17 heures, il faillit lâcher sa pelle pour recevoir la livraison de Patrick, mais il se ravisa. Foutu pour foutu... Il avait clairement sauté du train en marche, c’était pas pour tenter d’y remonter. Peu de temps après, il perçut le son de deux chevaux s’arrêtant devant chez lui, mais il choisit de ne pas s’en soucier non plus. Qu’ils se démerdent ! La boite était en évidence, la direction vers le village également. Finalement, qu'il soit là ou pas, ça ne changeait pas grand-chose pour ces aventuriers, hein ! 


Vers 22 heures, épuisé, douloureux, il s’arrêta enfin de creuser. Son trou était plus profond qu’il ne l’avait jamais été. Creuser ainsi lui avait apporté une forme de sérénité, l’énergie consacrée à ce travail avait enfermé son angoisse du matin dans une gangue de calme. L’heure de vérité approchait. D’habitude, à ce moment-là, il dormait depuis longtemps. Il s’assit dans l’herbe, à côté du chantier, et réfléchit. Plusieurs aspects de sa vie lui apparaissaient maintenant curieusement peu crédibles. Il ne se nourrissait que du lait de sa vache, et pourtant, il ne tombait pas malade, il n’avait pas de carences alimentaires, et il y puisait toute l’énergie dont il avait besoin. Sa vache, d’ailleurs, ne paissait pas. Elle vivait dans son étable, toujours prête à donner son lait. Mais au fait, pour qu’une vache donne du lait, il ne fallait pas qu’elle ait des veaux ? C’est comme si Lucette avait été... conçue par des gens qui n’y connaitraient rien en vaches...


Le puzzle se constituait lentement dans sa tête. Il était stupéfait de n’avoir jamais pensé à tout cela avant. Il se sentait comme Adam ayant croqué dans la pomme du savoir, se condamnant ainsi aux affres qui accompagnaient toute prise de conscience. Il commençait à entrevoir la nature du monde duquel il faisait partie, et cela lui faisait peur. L’emprise qu’il tentait d’avoir sur son environnement était vouée à l’échec, car celui-ci avait été créé par des forces supérieures, mais pas pour lui. Il en faisait partie, comme les arbres, comme les maisons, comme ses voisins, mais il n’était qu’un décor. Tout cela existait seulement et uniquement... pour les aventuriers, il en avait désormais la conviction...


A minuit, alors qu’il dodelinait de la tête sous les assauts du sommeil, un événement bref vint confirmer tous ses soupçons : le trou disparut d’un coup, comme ça, pouf. Ainsi, c’était vrai. Il n’avait pas la moindre prise sur son environnement et agissait comme “on” avait prévu qu’il agisse, il faisait partie du décor et n’avait pas, en réalité, d’existence propre. Et pourtant, il avait une conscience, il avait la capacité de se poser toutes ces questions. Pourquoi ? Incapable de répondre à cette ultime interrogation, il s’endormit dans l’herbe, au pied de la fenêtre de son atelier.
Son sommeil fut agité, comme il pouvait s’y attendre. Les images étaient de retour, plus précises, plus incisives. Une enfilade de portes, dans un couloir mal éclairé. L’une d’elles s’ouvre, laissant apparaitre le visage blafard d’une jeune personne, un casque à micro sur les oreilles. De la violence, un déchaînement de violence. Un couteau. Du sang. Des lumières, rouges, bleues. Des hommes armés qui crient fort. Une petite pièce très sale, très triste. Une autre pièce, vaste, pleine de personnes... Un casque, parsemé d’une multitude de câbles.
Gontran ouvrit les yeux, percuté par la révélation. Un cadenas mental venait de voler en éclat. Il se souvenait.


Il ne s’était jamais appelé Gontran, mais Fabien Lepriseul. 
Il avait 45 ans, il était célibataire et en surpoids. Il avait une hygiène de vie déplorable et une calvitie précoce. Il vivait dans un minuscule appartement dans la banlieue de Rennes, et passait le plus clair de son temps sur son ordinateur, à jouer à un jeu de rôle massivement multijoueurs, dans un univers médiéval. Mais il n’était pas très doué. Son personnage, une femme chevalier hyper sexy, enchaînait souvent les échecs. Il faisait partie d’une guilde, et avec d’autres joueurs, allait régulièrement faire des “donjons”, des séries de combats contre des créatures de plus en plus fortes, jusqu’au boss final. Tous les autres joueurs étaient des gamins, il était le seul adulte. Il l’entendait, à leur voix. Lui, ne communiquait pas du tout, il avait écrit aux autres membres de la guilde qu’il n’avait pas de micro, mais c’était faux. Il ne leur avait jamais avoué son âge, il aurait eu trop honte. Les autres se moquaient de lui régulièrement. C’est vrai qu’il était vraiment nul, et pourtant, il essayait ! Il aurait donné n’importe quoi pour avoir un niveau supérieur à tous ces petits cons, et pour one-shot un boss devant leurs yeux ébahis. 
L’un d’eux, en particulier, l’agaçait. Son personnage, un barbare bodybuildé, ne manquait jamais une occasion de l’humilier en public, en pointant ses erreurs de stratégie devant les autres. Jour après jour, son ressentiment envers "DarKiller95” grandissait. Lorsque celui-ci donna son contact snapshat aux autres membres de la guilde, Fabien mena une rapide enquête sur internet. Il s’appelait en réalité Dylan Gautier, adorait l’équipe de foot du Paris-Saint-Germain et le soda “Dr Pepper”. Il avait 15 ans, et vivait chez son père, un garagiste dépressif. Il séchait régulièrement le lycée. Fabien finit par dénicher son adresse, qui par chance se trouvait dans la même ville que lui. Il s’y rendit en journée, gonflé de haine, pour donner une bonne leçon à ce petit trou du cul, alors qu’il savait son père occupé à son garage. Il lui asséna 37 coups de couteau, il le sait, il les avait comptés. Prévenue par les voisins, la police était arrivée peu de temps après. Garde-à-vue, prison, procès. Fabien fut condamné à une nouvelle forme d’enfermement, chimique celui-ci, apparu en réponse à la surpopulation carcérale ; Son corps était arnaché à un fauteuil médicalisé, aux côtés de dizaines d’autres condamnés. Des tuyaux reliés à ses divers orifices faisaient le travail de nourrissage et de vidange, pour le maintenir en vie, et un casque recouvrait son visage, jusqu’à son nez. Sa condamnation, c’était de rester “enfermé”, à vie, dans un PNJ sans importance, au cœur même du jeu qui l’avait vu basculer dans sa folie meurtrière...

Comme sur du papier à musique #1

Bonjouuuuur tout le monde !

Après un (petit) moment de réflexion, j'ai décidé de vous présenter ma dernière nouvelle. Vos retours m'ont été super précieux pour la précédente, et je ne doute pas que ceux que vous me ferez sur celle-ci m'aideront à la retravailler et à la peaufiner pour en faire un texte un peu plus pro :)

J'ai choisi, pour cette nouvelle, ainsi que pour la précédente, et pour toutes les futures, de demander à l'IA Midjourney de s'occuper des illustrations (je vous conseille d'ailleurs de retourner voir "Moisi", j'y ai ajouté des images). Comment, une dessinatrice qui fait bosser une IA ?! Oui, bien sûr, c'est bizarre, bizarre que j'aie recours à cette curiosité pour illustrer mes nouvelles, alors que celle-ci provoque de grosses angoisses dans mon milieu professionnel, à tous les créateurs d'images qui, déjà que c'est pas facile de trouver des boulots d'illustration, flippent de se voir remplacés par un machin qui te génère une image de dingue en quelques secondes, gratuitement... Mais Midjourney est fascinant et les images qu'il génère ont énormément de charme, un charme un peu étrange, un peu décalé, un peu chelou qui va bien, je trouve, avec les ambiances de mes récits (et par ailleurs, je serais absolument incapable de faire un tel travail moi-même...). Quitte à se faire remplacer par des robots, autant que ce soit volontaire, hein ! (M'en fous, Midjourney est peut-être super fort pour générer de belles images, mais il est nul en scénarios, et bim !).

Brefle, voici la dernière histoire que j'ai écrite, j'espère qu'elle vous plaira, je suis très curieuse d'avoir des retours !

 

COMME SUR DU PAPIER A MUSIQUE


Le quotidien de Gontran était terriblement monotone.


Gontran vivait aux abords d’un village, dans une modeste fermette, entourée d'arbres, de prairies et de petits chemins de terre bordés de murets en pierres. Ses possessions étaient chiches, quelques outils, une table, une chaise, une couche et une vache lui suffisaient. Il vivait simplement, et se contentait de peu.
Tous les matins, son voisin, Thierry le palefrenier, le saluait en passant devant chez lui. Puis c’était au tour de Perrine, la boulangère, de s’arrêter quelques instants pour lui acheter du lait et échanger quelques banalités : La météo. La fête de l’hiver, événement annuel très attendu qui réunissait tout le village pour une cérémonie festive, sur la place de la mairie. La relation supposée du maire avec l’institutrice... Après, il allait traire sa vache. C’était son moment préféré, la proximité avec sa bête le mettait en joie. Celle-ci se laissait faire sans sourciller. Il remplissait ainsi son seau de lait frais, une fois par jour, et ceci constituait l’essentiel de ses repas.
Et puis, le travail du bois. Gontran était menuisier, et il passait le plus clair de son temps à fabriquer des planches, et des planches, et des planches... Patrick, le bûcheron, lui livrait quotidiennement un tronc, que Gontran débitait consciencieusement sur sa vieille machine. Ensuite, il allait ranger les découpes obtenues dans son coffre-magasin, une boîte adossée à son portail, là où la veille, il avait rangé les précédentes. A leur place, il y avait des pièces de bronze, que Gontran empochait machinalement. C’était son travail, sa raison d’être.
La vie de la communauté se déroulait toujours de la même façon, jour après jour, mois après moi, année après année. Chaque journée était semblable à la précédente. La seule chose qui changeait, c’était les visiteurs.
Ils étaient nombreux à venir lui parler. Gontran n'avait aucune idée d'où ils venaient, mais la diversité de leur apparence lui évoquait des terres lointaines... Leur aspect, contrairement à celui des villageois, était bigarré, insolite parfois, comme si chacun tentait de se différencier des autres. Mais, pour lui, ils étaient semblables. Ils venaient tous lui poser la même question, et Gontran leur livrait toujours le même récit. Toujours.
Certains trouvent le plaisir de vivre dans la surprise, dans l’aventure, dans l’inattendu. Pas Gontran. Gontran était très heureux ainsi. Sa vie, réglée comme sur du papier à musique, lui convenait. Sans prétention, elle le structurait et lui donnait le sentiment rassurant que rien, ni personne, ne pourrait un jour briser ce bel équilibre, comme une douce mélodie dont on connait chaque note par cœur, et qu’on prend plaisir à retrouver, toujours intacte, à jamais inaltérable.

Jusqu’à ce matin-là.

Gontran, peu après son éveil, fut pris d’une pensée surprenante. Il avait envie d’apporter un élément nouveau dans sa vie. Du changement. L’idée saugrenue de creuser une mare dans son jardin faisait chemin dans sa tête. Celle-ci ferait face à la fenêtre de son atelier, celle devant laquelle il passait beaucoup de temps chaque jour à travailler le bois. Un point d’eau dans son champ de vision, probablement colonisé par diverses plantes et animaux, serait un enchantement visuel, un nouveau bonheur sans cesse renouvelé, à n’en point douter !
Le vieil homme finit son bol de lait, le nettoya, puis il se posta sur le banc devant sa maison, en attendant l’arrivée de Thierry. Le voici d’ailleurs, s’avançant sur le chemin, toujours ponctuel, toujours enjoué. Signe de main, signe de tête. Thierry était muet. Un bon gars, le cœur sur la main, ça oui ! Mais nul n’avait jamais entendu sa voix. Peu de temps après Thierry, venait Perrine. La boulangère était jolie, ses formes étaient harmonieuses et rebondies, à l’image des généreuses miches qu’elle portait jusqu’au marché du village. Son babillage, en revanche, était profondément inintéressant, mais Gontran s’y pliait de bonne grâce, celui-ci constituant l’essentiel de sa vie sociale. Si l’on exceptait bien sûr les questions des voyageurs. Mais Gontran n’en avait cure ; il savait qu’il ne les reverrait jamais, individuellement. Il lui était conséquemment impossible d’établir la moindre relation affective avec eux, et c’était très bien ainsi. De toute façon, la plupart d’entre eux ne montrait pas le moindre signe de considération à son égard. Certains même ne se contentaient pas de leur échange verbal, et rentraient sans aucune gêne dans sa maisonnette ! Ils n’y restaient que quelques secondes, celle-ci ne contenant rien de remarquable, mais Gontran détestait cela. Ils partaient ensuite sans le moindre regard pour le menuisier. Evidemment.
Ce jour-là, donc, Gontran, après le passage de Perrine, retourna dans sa demeure, se saisit d’une pelle et se rendit dans son jardin. D’habitude, à cette heure-ci, il allait s’occuper de sa vache, Lucette, mais aujourd’hui, son projet occupait toutes ses pensées. Il passa devant elle, et Lucette le suivit du regard, toute étonnée. Il lui flatta le museau puis, d’un pas déterminé, se posta face à la fenêtre de son atelier, et, sans attendre, planta sa bêche dans la terre. 
Il put ainsi creuser toute la journée sans être interrompu. Chaque fois que son outil s’abattait dans la glaise, Gontran ressentait une curieuse exaltation. Cela faisait si longtemps que son quotidien se déroulait de la même manière, que ce simple mouvement déclenchait en lui un délicieux sentiment de transgression. Plus le trou grandissait, plus il se sentait important, en fait. L’insignifiance de son quotidien avait fini par lui donner la ferme impression de n’être qu’une fourmi, un être vivant sans importance dont l’existence ne comptait pas. Il s'en accommodait, mais tout de même, s’il disparaissait, qui s’en soucierait ? Le monde était vaste, et pourtant, Gontran n’en connaissait qu’une fraction infinitésimale. Son lit, son atelier, son banc, son portail et sa vache. Pour le reste, ce qui se passait au-delà de sa fermette ne le concernait absolument pas, et le monde, dans toute son infinie grandeur, lui paraissait chaotique, dangereux, angoissant. Du moins, c’est l’idée qu’il s’en faisait. 
Le soleil baissait à l’horizon et la lumière se fit plus rasante. Epuisé mais satisfait, Gontran contempla longuement le fruit de ses efforts : un large cercle terreux se dessinait devant lui, pas bien profond encore, bien sûr. Il lui faudra plusieurs jours pour que le trou atteigne une taille suffisante. Mais ce labeur avait créé en lui quelque chose de nouveau. Il était fier. Fier de se prouver qu’il pouvait faire autre chose que débiter ses planches et traire sa vache. Qu’il pouvait agir sur son environnement, laisser une trace. Une fois qu’il serait mort, on pourra se dire “C’est la mare du Gontran !”. Et cette simple pensée le gonfla d’orgueil.
Il s'apprêtait à rentrer dans son foyer lorsqu’il fut saisi d’effroi : Mon Dieu, il avait oublié Patrick ! Le bûcheron arrivait toujours à 17h précise pour livrer sa marchandise. Mais Gontran n’était pas à son poste ! Il était 18h passé de 45 minutes, et tout à son occupation, il n’avait pas réalisé à quel point le temps s’était écoulé. Affolé, il se précipita sur le seuil de sa porte, et remarqua immédiatement le tronc, abandonné au milieu du chemin. Il imagina sans mal la stupéfaction de Patrick devant l’absence du menuisier. Ne sachant que faire, celui-ci s’était délesté de son bien à l’endroit de leur interaction quotidienne. Gontran porta le tronc jusqu’à son établi, et se mit au travail.

Alors qu’habituellement, tout le village était paisiblement endormi, une fenêtre, illuminée par la lumière tremblotante d’une bougie, trouait la nuit...

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Gontran était attablé devant son bol de lait. Il s’était éveillé à la même heure que d’habitude, et accusait le coup en tentant d’organiser ses pensées. Il était fatigué, son corps n’avait jamais connu de sollicitation aussi soutenue, suivie d’un sommeil raccourci. Qu’est-ce qui lui était passé par la tête ?! Une mare, on croit rêver ! Et pourquoi pas un stade olympique, tant qu’il y était ? Et pourtant, il avait la ferme intention de continuer. Il se sentait comme un minuscule rouage perdu au cœur d’une énorme machine qui se serait mis à bouger indépendamment du reste, au mépris de toute logique, de toute cohérence. Il finit rapidement son breuvage, puis sortit sur son perron. Il consulta la boite, dans laquelle se trouvait toujours le bois préparé la veille, et s’assit sur son banc, au moment où Thierry apparaissait sur le chemin. Signe de tête, salut amical. Quelques instants plus tard, c’est la silhouette menue de Perrine qui se découpa au loin. Gontran la laissa approcher, se leva et marcha jusqu’au portail.
“ Bonjour le Gontran. Il fait vraiment très beau aujourd’hui ! 
- Et oui, comme chaque jour, la Perrine. Alors, qu’apportes-tu donc au marché ce matin ?
- Deux beaux pains, et une brioche. Je ne devrais sans doute pas te le dire, mais j’ai vu Charlotte l’institutrice entrer chez le Maire, hier soir. Je ne veux pas être médisante, mais ce n’est pas très correct de sa part, tu ne penses pas ? 
- Bah ! Si ça se trouve, ils se retrouvent le soir simplement pour organiser la Grande Fête de l’Hiver !
- Tu as sans doute raison. Cette année, je suis sûre qu’elle sera magnifique ! J’ai hâte !”
En disant cela, elle écarta les anses de son panier, afin que le menuisier y dépose la bouteille de lait qu'il lui cédait quotidiennement. Mais il n’avait pas de bouteille à lui donner : la veille, il avait complètement oublié de traire Lucette !! Le restant de l’avant-veille avait servi pour son petit déjeuner. Perrine le regardait, le sourire figé, en attente de son bien. Sans ce lait, elle ne pourrait pas faire sa brioche du lendemain. C’était une catastrophe ! Gontran ne savait pas comment le lui dire. Un long silence gênant s’installa, Perrine le fixait toujours, et dans ses yeux passa une lueur d’incompréhension. 
“ Je suis désolé, Perrine, je n’ai pas de lait aujourd’hui.”
Elle resta un moment encore en suspens. Son expression changea subtilement, ses yeux s’écarquillèrent, son sourire trembla, un vent de panique sembla obscurcir un instant son regard. Elle finit par refermer son panier et se remit en mouvement.
“A demain, le Gontran, porte-toi bien !”.
En l’observant, s’éloignant sur le chemin en direction de la place du village, Gontran fut pris de fébrilité. Ouf !! Ça s’était bien passé. Son coup de folie de la veille avait bien failli mettre en péril l’équilibre délicat qui régissait son monde. Que lui, décide de bousculer son quotidien, c’était une chose, mais il ne fallait pas que cela influe sur le cours de l’existence de ses voisins ! Qui sait alors quelles pourraient être les conséquences de ses manquements ? Il se promit de ne plus commettre un tel impair, et alla directement dans l’étable retrouver sa chère Lucette. Alors qu’il était en pleine traite, un bruit de galop se fit entendre. Gontran ne pouvait pas s’interrompre immédiatement, et en finissant sa tâche, il analysait les sons qui lui parvenaient, blasé. C’était un visiteur qui, comme souvent, s’était introduit dans sa maison, en témoignait le bruit métallique de ses pas sur le plancher vermoulu. Gontran poussa un soupir agacé : il détestait vraiment cela. Ces étrangers avaient un comportement irritant, et même si Gontran ne possédait rien qui n’ait le moindre intérêt pour ces cuistres, il avait de plus en plus de mal à tolérer leur impudence et leur manque de respect à son égard. Las, il se leva et, son seau à la main, partit à la rencontre du malotru.
“ Hola, vieil homme. Peux-tu me renseigner ? Je cherche le château du seigneur Capellou. Par ailleurs, si d’aventure quelques denrées t’encombrent, je suis disposé à t’en délester, je chevauche depuis longtemps, et ma route est encore bien longue !
- Bien le bonjour, aventurier. Je ne suis qu’un modeste menuisier et si le cœur vous en dit, vous pouvez acquérir des planches de ma confection contre une pièce de bronze.”
Gontran lui indiqua la boite.
“Je ne connais pas le seigneur Capellou, mais en suivant la route, vous arriverez au marché du village dans lequel vous trouverez de quoi vous sustenter. Nul doute que les commerçants sauront vous indiquer ce que vous cherchez !”
L’intrus fit un tour sur lui-même, puis, sans autre forme de politesse, franchit le portail, remonta sur son cheval et continua sa route. Il n’avait même pas regardé la boite. Pourtant, Gontran savait qu’il reviendrait et qu’il lui achèterait des planches, il en avait besoin. Ils en avaient tous besoin. Pourquoi ? Gontran n’en savait fichtre rien, c’était comme ça. Chacun son rôle, chacun ses raisons, chacun sa place.
Il tourna les talons et alla chercher sa pelle. Il n’était que 9h30, il lui restait quelques heures pour continuer sa mare, avant que Patrick ne vienne lui livrer son bois. En arrivant dans son jardin, Gontran eut un choc. A l’endroit où il avait œuvré avec tant de vigueur, il n’y avait... Plus rien. Plus de trou. Rien qu’une surface herbue, inentamée. Comme si tous ses efforts de la veille n’avaient été qu’un rêve ! Gontran resta un moment interdit, paralysé. Comment cela fut-il possible ?! Est-ce qu’une force invisible, une volonté supérieure, avait décidé de gommer son travail ? Est-ce que sa pauvre décision à lui, modeste petit menuisier, d’agir à contre-courant sur sa vie avait éveillé quelque colère divine ? Était-ce de la magie ?
Ou alors, il avait juste rêvé. C’est possible, après tout. Improbable, mais possible. Il se serait endormi, inopinément, au cours de la journée précédente, et il avait imaginé qu’il creusait ce trou, bousculant ainsi la mélodie parfaitement rodée de son existence ? 
Confus et contrarié, il se remit à creuser. Foi de Gontran, il fera une mare ici, ainsi en avait-il décidé ! Alors qu’il creusait depuis deux bonnes heures, un nouveau bruit de galop retentit. Encore un ! C’est vrai qu’en y réfléchissant, la veille, il ne se souvenait pas avoir été interrompu par un de ces chevaliers. Ils se faisaient plus rares ces temps-ci, c’était indéniable, mais toute une journée sans en voir un, tout de même, c’était insolite. Voilà qui accréditait un peu plus la théorie du rêve ! 
Gontran posa sa pelle et se rendit devant sa maison. Tiens ? Celui-là portait un casque original, surmonté de deux énormes cornes rouges. Voilà qui ne devait pas être très pratique pour chevaucher, et accessoirement, Gontran trouvait que ça lui donnait un air parfaitement ridicule. L’échange fut bref, et l’étranger tourna les talons avant même que Gontran ait fini d’indiquer la boite ! Habitué à subir leur rudesse, Gontran haussa les épaules et retourna s’occuper de son trou sans plus y songer. Il s’arrêta à 16h55, précisément, admira un instant le cercle terreux, satisfait et éreinté, puis alla accueillir comme il se doit son ami Patrick chargé de son tronc.
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(à suivre)

Carrefour des tentations

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Dites, ça vous va si je publie une autre nouvelle dans ce blog la semaine prochaine ? Ou vous préféreriez que je reste uniquement dans la bd autobio ? Dites-moi ça dans les commentaires !

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